mardi 7 septembre 2021

Rythme

La semaine dernière c’était la rentrée scolaire, les enfants et adolescents sont retournés à l’école. Du coup on a l’impression que c’était la rentrée pour tout le monde. Paris s’est rempli ces derniers jours, tout le monde semble être rentré de vacances d'un seul coup. Mardi à la piscine on nageait à la queue leu leu et je ne faisais pas vingt mètres sans doubler une tortue, c’était pénible (d’ailleurs au bout d’un kilomètre de crawl je suis sorti, il n’y a aucun plaisir à nager dans ces conditions, c’est juste de l’entretien physique). Mercredi à la boulangerie j’ai du faire la queue pour acheter ma salade de pâtes aux épinards. Les trottoirs sont plein de gens qui marchent avec le nez dans leur portable et s’excusent quand ils rentrent dans une poubelle par inattention. Sur les pistes cyclables aux heures de pointe on avance roue dans la roue au ralenti derrière des nouveaux cyclistes qui sont incapables de serrer à droite et qui ont peur de tomber si on les double, on attend avec impatience que l’hiver arrive et que ces gens prennent le métro. Bref, Paris a retrouvé sa foule de parisiens individualistes qui ne pensent qu’à eux et t’agressent si tu oses leur faire une remarque.

J’adore Paris au mois d’août, c’est le meilleur moment pour apprécier la ville, même si toutes les boulangeries sont fermées (mais manger du pain n’est pas vraiment une nécessité). Avant je ne prenais jamais de vacances au mois d’août. Ça a un peu changé depuis que j’encadre une équipe, je suis soumis au rythme des vacances scolaires. Je n’ai jamais compris pourquoi le monde était à ce point calqué sur les rythmes scolaires. Après tout, beaucoup de personnes n’ont pas d’enfant ou ont des enfants suffisamment grands pour ne pas avoir à calquer leur rythme sur leurs vacances scolaires. Je n’ai pas d’enfant, mais je me retrouve à devoir prendre mes vacances en fonction de leur rythme parce que c’est le rythme de la société et qu’on ne part pas en vacances pendant les périodes de pointe. Avant je prenais mes grandes vacances en septembre, ce n’est plus possible. Dans la théorie je n’ai aucune obligation mais personne ne vit dans ce pays magnifique qu'est la Théorie et être absent au moment où toutes les décisions se prennent serait mal vu et préjudiciable.


Les parents qui ont des enfants qui doivent être à l’école à huit heures sont forcément des lève-tôt. Je n’ai pas d’enfant, mais j’imagine mal que des parents restent au lit le matin pendant que leurs enfants se préparent pour aller à l’école. Du coup les gens qui ont des enfants ont l’habitude d’être debout avant sept heures, comment s’étonner après de voir des mamies à l’ouverture des magasins quand on se dit qu’elles n’ont aucune urgence. Le rythme des journées est basé sur le rythme scolaire.

Se lever tard est le privilège des gens qui n’ont pas d’enfant. Je ne suis pas un lève-tôt. Je me couche rarement avant deux heures du matin, du coup l’idée d’être opérationnel à huit heures relève de l’utopie. En général je commence le boulot à 9h, ce qui veut dire en période de télétravail qu’à huit heures j’émerge à peine des bras de Morphée. Mais c’est la rentrée, et sur le front du Covid aussi. Dans les entreprises il faut retourner physiquement au boulot, la belle époque du télétravail à convenance touche à sa fin. J’avoue avoir beaucoup de mal à me réveiller pour être au bureau vers 9h. Les chats me regardent avec surprise quand je sors de mon lit avant huit heures. Mais il va bien falloir reprendre l’habitude de se lever plus tôt.

Il m’est arrivé de me lever tôt pendant la période de confinement. Mais en général je regardais ma montre, me demandais pourquoi j’étais réveillé si tôt, et me replongeais sous la couette pour un nouveau cycle de sommeil. Les réveils vont être difficiles les jours prochains…


Qu'est ce qui peut légitimer que le rythme de toute une société soit ainsi basé sur le rythme de ses enfants? Pourquoi tout le monde doit prendre sa voiture ou son vélo à la même heure alors qu'il n'y a absolument aucune logique derrière cette nécessité? Pourquoi je dois être au boulot à 9h et prendre mes vacances entre le 14 juillet et le 15 août, à Pâques, Noël et la Toussaint? Je travaille avec des pays qui ne sont pas sur le même fuseau horaire que la France et je n'ai pas d'enfant.

dimanche 29 août 2021

Barbe à papa

Quand son chef a allumé sa visio, elle a poussé un cri d'étonnement "oh, mais tu es barbu?" Ce n'était pas un étonnement positif, plutôt un cri d'effroi. Pendant cette période de télétravail obligé, beaucoup de barbes ont fleuri sur les écrans des visioconférences; qu'en restera t-il dans le monde d'après? A la fin du confinement, quand les gens sont retournés physiquement dans leur bureau, les barbes avaient disparu. Tout le monde n'a pas encore repris le chemin de l'entreprise, certains ont pris goût au travail à distance de leur maison de campagne. Mais quand tu es manager tu dois montrer l'exemple. Les cadres reviennent progressivement et leurs barbes ont disparu.

Je suis barbu depuis de nombreuses années. J'ai toujours aimé être barbu, je ne m'aime pas avec la peau nue. Je suis barbu et j'aime les hommes barbus. Dans le monde de l'entreprise, il n'y a pas beaucoup de barbus. Au niveau cadre ou cadre sup on ne porte pas la barbe, sauf dans quelques emplois très techniques où on est un peu plus souple sur les apparences physiques. J'avais un métier de spécialiste, la barbe que je portais était acceptable (mais bon, ça restait une barbe raisonnable qui ne dépassait pas les trois centimètres et n'envahissait ni les joues ni le cou) et la chemise n'était pas obligatoire.

J'ai changé de fonction il y a environ un an. Du coup je suis beaucoup plus en visibilité dans l'entreprise, je me suis rasé. L'augmentation annuelle qui a suivi a été la meilleure de ma carrière. Pourtant tous les matins quand je me regarde dans le miroir je me dis que ce visage sans barbe qui me regarde n'ai pas le mien. Mais pour progresser dans l'entreprise il faut être dans le moule, même si ce n'est que visuellement. Alors je me rase et je continuerai jusqu'à avoir atteint mon plafond de verre. Ensuite, qui sait, peut-être que je me laisserais à nouveau pousser la barbe? Ça peut paraître curieux qu'une évolution professionnelle se fasse en fonction des apparences et pas uniquement des compétences, d'ailleurs ça m'a toujours profondément choqué, mais il faut faire avec le système si on ne veut pas être mis de côté. Après tout les français ont bien élu un président juste parce qu'il était jeûne et que les médias le présentaient comme le gendre idéal...

A propos de président, peut-on imaginer un président barbu? Peut-on imaginer un chef d'entreprise barbu? Quand on choisit un président sur son apparence plutôt que sur son programme, la réponse est évidente. Et il est évident que la plupart des électeurs ne regardent jamais les programmes des gens qu'ils choisissent, tout le monde n'a pas la chance d'avoir un cerveau fonctionnel. Dans l'inconscient collectif, ne pas se raser est un signe de paresse. Les gens qui ne se rasent pas sont des gens qui ne prennent pas soin d'eux, des gens qui ne se respectent pas. Peut-on imaginer un sportif de haut niveau barbu?

On nous conditionne très tôt au non port de la barbe. Je me souviens qu'au service militaire tous les matins le chef de chambre vérifiait le rasage de tous les appelés. Quand on est adolescent, la fierté de pouvoir se raser est une étape importante dans le devenir un homme. Se raser c'est être un homme. D'ailleurs même les imberbes qui n'ont pas la chance de devoir se raser semblent le regretter, ce qui est tout de même le comble de l'absurde.

Se raser fait partie de la vie sociale. On se rase le matin, on se rase avant d'aller dîner en ville. Et on se rase avant d'aller au boulot. Ou alors on ne respecte pas le pacte social, on est un rebelle ou un dangereux anarchiste, peut-être même un communiste, au minimum un gauchiste. Dans le monde de l'entreprise, être barbu à moins de 60 ans, c'est accepté d'être soit un rebelle soit un loser sans ambition sociale.

Dans les bouleversements qu'on apporté cette période de confinement et de télétravail forcé, de nouveaux usages sont apparus. Si au début les gens s'habillaient pour allumer la caméra de leur visioconférence, on a vu des assouplissements au fil du temps. Les cravates se sont faites moins systématiques et les joues moins rasées. Va t-on enfin comprendre que ce n'est pas l'habit qui donne les compétences? Si cette crise sanitaire pouvait au moins assouplir certains usages rétrogrades, ce ne serait pas une mauvais chose.